Du micro à l'écran : Frank Sinatra restera toujours « The Voice »

ÉPISODE 1. Du chanteur ou de l'acteur, lequel surpasse l'autre ? Avantage au premier qui a tout orchestré avec brio. Pour devenir une légende de l'Amérique d'avant.

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Frank Sinatra lors d'un concert au Nassau Coliseum, en 1979
Frank Sinatra lors d'un concert au Nassau Coliseum, en 1979 © Rochard Drew/AP/SIPA / AP / Rochard Drew/AP/SIPA

Temps de lecture : 9 min

Coup d'envoi de notre série d'été consacrée aux chanteurs qui ont fait carrière dans le cinéma et ont imprimé leur style dans quelques films devenus des classiques. Lever de rideau avec Frank Sinatra.

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C'est l'histoire d'un gamin d'Hoboken (New Jersey), d'un « Petit Rital » raillé par ses copains. Il est tout malingre, a les yeux bleus, les oreilles décollées et rêve de conquérir le monde. À 16 ans, le jeune Francis annonce à sa mère, Molly, qu'il veut devenir chanteur, riche et célèbre. Coûte que coûte. Il le sera, deviendra une icône américaine qui aura le bon goût de le rester jusqu'à la fin, après avoir mené mille vies, englouti des litres de Jack Daniels et fumé des tonnes de cigarettes. Il sera l'ami des présidents, surtout du clan Kennedy, séduira les plus belles femmes du monde (la liste est trop longue) et fricotera même avec la pègre.

La vie et la carrière de Frank Sinatra dépassent la réalité. Un mélange de Gatsby le Magnifique et de La Fureur de vivre. Sa gloire tient du hold-up, de l'Amérique et du monde. Il avait prévenu dès le début : tout ou rien du tout – « All or nothing at all ». Sa voix, son souffle, il va les travailler comme un athlète et ce n'est pas son tympan crevé qui va l'empêcher d'avoir l'oreille musicale et ce timbre unique. Tout comme son physique de tête d'épingle ne va pas lui fermer les portes du cinéma qu'il considérera vers la fin de sa vie comme un passe-temps pour gagner de l'argent. Et faire la bringue à Las Vegas avec ses copains du Rat Pack – Dean Martin, Sammy Davis Jr, Peter Lawford, Joey Bishop et les seules deux femmes du clan, Angie Dickinson et Shirley MacLaine – qu'il retrouvera notamment dans L'Inconnu de Las Vegas (Ocean's Eleven, 1960).

Sa soif de célébrité, son goût pour l'argent qu'il dépense sans compter, son attrait pour le pouvoir et les puissants sont tels que rien ne semble pouvoir l'arrêter. Un monstre doté de la plus belle voix de crooner qui soit et d'où sortent tant de promesses, de caresses, de mystères et d'aveux. De l'art de vous briser le cœur et de s'épancher sur le mâle en mal de vivre. Personne ne lui résiste, surtout pas les jeunes filles, les bobby-soxers (en socquettes blanches et chaussures bicolores) qui le harcèlent, trépignent ou s'évanouissent à chacun de ses concerts. D'où son surnom de « Swoonatra » (swoon : s'évanouir). D'ailleurs, le président Roosevelt, auquel il est présenté un jour, lui glisse d'un ton taquin : « Vous savez les femmes semblaient avoir perdu l'art de s'évanouir : je suis heureux que vous l'ayez remis au goût du jour. »

« Pas très photogénique »

Ses débuts remontent à 1935. Il a vingt ans et chante avec les Hoboken Four dans la très populaire émission de radio du Major Bowes, enregistrée au théâtre du Capitol de New York. C'est l'époque où les chanteurs ont le visage grimé en noir et de grosses lèvres blanches. À l'instar du Chanteur de jazz avec Al Johnson, Sinatra apparaîtra ainsi – ce qu'il regrettera par la suite –, comme en témoignent une série de courts-métrages de la RKO. Engagé trois ans plus tard comme serveur-chanteur d'orchestre au Rustic Cabin d'Englewood Cliffs, (une auberge du New Jersey), le trompettiste Harry James le remarque et veut l'engager dans son orchestre sous le nom de Frankie Satin qui, au final, restera Frank Sinatra. Il enregistre son premier 78 tours, From the Bottom of My Heart, puis une chanson, « All or Nothing at All », son premier succès.

Ambitieux, insatiable, le chanteur quitte Harry James pour rejoindre le grand orchestre de Tommy Dorsey avec lequel il va faire ses classes et tourner pendant deux ans. En octobre 1940, le voici figurant et chanteur dans Las Vegas Nights, produit par la Paramount. Verdict d'un critique : « il chante bien, mais il n'est pas très photogénique ». Qu'importe, surnommé « The Voice » par la presse, il prend la première place du hit-parade avec « I'll Never Smile Again », la chanson tirée du film. Le magazine Bilboard le sacre meilleur chanteur masculin en mai 1941, quelques mois avant l'attaque de Pearl Harbour par les Japonais et l'entrée en guerre de l'Amérique. À défaut de partir sur le front (ce foutu tympan crevé de naissance !), il chantera pour les soldats avec Bob Hope, Ginger Rogers et Bing Crosby.

À l'âge d'or du swing et des big bands, Sinatra quitte Tommy Dorsey et se lance dans une carrière solo. Le 30 décembre 1942, il triomphe pendant huit semaines au Paramount Theatre de New York en compagnie du Roi du Swing Benny Goodman. Tout va alors très vite. Le crooner a supplanté son maître, Bing Crosby qui l'admire. Celui-ci, lors du tournage du film de Charles Walters, High Society (1956), lâchera avec humour : « Un talent pareil, on n'en rencontre qu'une seule fois dans sa vie. Pourquoi a-t-il fallu que cela tombe sur la mienne ? »

Omniprésent, à la radio, sur scène, sur disque, et bientôt à la télévision (dès 1951, avec son show sur CBS), il ne reste plus à la star Sinatra que le monde du cinéma à conquérir. Pas si facile quand une certaine presse vous traîne dans la boue pour des histoires de valises de billets à Cuba. L'homme est prêt à tout pour y parvenir.

Son premier contrat, Frank Sinatra le signe avec la RKO le 12 septembre 1943. Premier rôle important dans la comédie musicale Higher and Higher (un titre fait pour lui !), avec Michèle Morgan. Il y interprète cinq chansons et recueille dans ses bras une jeune fille qui s'évanouit à sa vue… Un an plus tard, la Metro-Goldwyn-Mayer l'engage pour un million et demi de dollars. Du jamais-vu pour un débutant. Entrée fracassante du crooner dans Escale à Hollywood (1945) au côté de Gene Kelly dans les rôles de joyeux marins en permission. Les deux hommes s'admirent et vont imprimer leurs noms dans l'histoire de la comédie musicale avec des succès comme Match d'amour (1949) et Un jour à New York (1949). Gene Kelly poursuit seul l'aventure dans Chantons sous la pluie de Stanley Donen (1952), tandis que Sinatra peaufine son image d'acteur-chanteur dans Guys and Dolls (1955) de Joseph L. Mankiewicz, avec Marlon Brando et Jeans Simmons, Haute Société, avec Grace Kelly et Louis Armstrong (1956) et Can-Can (1960) avec Shirley MacLaine, Maurice Chevalier et Louis Jourdan. À partir de là, le chanteur et l'acteur se confondent, surtout à ses débuts. Mieux que son physique un peu fragile – sa voix restera toujours dans ses films son arme de séduction massive.

Ava Gardner à la rescousse de son époux Sinatra

Mais avant de grimper en haut de l'affiche, Frank Sinatra a dû se battre pour s'imposer face aux patrons de studio. Exemple : ce maudit rôle du seconde classe Maggio dans Tant qu'il y aura des hommes (1953) que le patron de la Columbia, Harry Cohn, voudrait donner à Ernest Borgnine. Il enrage. Et devient insupportable. Son couple avec Ava Gardner a beau battre de l'aile, la star va voir Joan Cohn pour qu'elle persuade son mari de changer d'avis. Elle lui dit : « Vous savez qui irait bien dans le rôle de Maggio ? Mon sale de type de mari, bien sûr ! » Tope là ! Sinatra sera Maggio et décrochera l'oscar du meilleur second rôle. Son ticket pour entrer dans la cour des grands et jouer par la suite dans quelques films qui deviendront des classiques.

Frank Sinatra et Ava Gardner
 ©  Classic Hollywood central
Frank Sinatra et Ava Gardner © Classic Hollywood central

Après Tant qu'il y aura des hommes, de Fred Zinnemann (1953), sa carrière bascule. Il va travailler son jeu dans des registres plus dramatiques : L'Homme au bras d'or d'Otto Preminger (1955), Comme un torrent de Vincente Minnelli (1958) avec Dean Martin et Shirley MacLaine, Un trou dans la tête (1959), drame tire-larmes signé Frank Capra. Époque faste où il enchaîne deux films majeurs : Un crime dans la tête (The Mandchurian Candidate, 1962), petit chef-d'œuvre noir de John Frankenheimer qui lui confie le rôle d'un soldat traumatisé par la guerre de Corée et Le Dernier de la liste, brillant film policier de John Huston (1963) qui déguise l'acteur en palefrenier.

En 1956, histoire de tout contrôler, Sinatra devient producteur d'une comédie oubliable, Johnny Concho, et s'essaie au western dans Trois sergents, de John Sturges (1963) où il exécute ses propres cascades aux côtés de Dean Martin et Peter Lawford. Toujours au Far West, il retrouve le même Dean dans Quatre du Texas, de Robert Aldrich qui leur offre sur un plateau Anita Ekberg et Ursula Andress, plus Charles Bronson. On l'applaudit dans Les 7 Voleurs de Chicago, comédie de gangsters signée Gordon Douglas (1964) et L'Express du colonel von Ryan, violent film de guerre de Mark Robson (1965).

Sinatra affectionne aussi les rôles de voyou irrésistible comme dans Pal Joey (1957). Tour à tour gangster ou privé dur à cuire, il enchaîne ensuite quatre films de genre réalisés par Gordon Douglas, Les 7 Voleurs de Chicago (1964), Tony Rome (1967), Le Détective (1968) et La Femme en ciment (1968) avec Raquel Welch. Oublions Le Miracle des cloches, curiosité dans laquelle il joue un prêtre (1948), suivi par un beau nanar, Le bandit amoureux (1948) considéré comme son plus mauvais film. Côté mélo vintage, on savoure Orgueil et passion (1957) de Stanley Kramer qui se déroule en Espagne à l'époque des guerres napoléoniennes. Cary Grant y survit, mais pas Sinatra et Sophia Loren. 

L'Équipée du Cannonball II (1983) sera son dernier film dans lequel il se contente de jouer lui-même, sans éclat, au côté de sa bande, Burt Reynolds, Shirley MacLaine, Sammy Davis Jr et Dean Martin.

Après soixante films, difficile de dire qui de l'acteur ou du chanteur l'emporte puisque Sinatra fait les deux et charme tout le monde par sa présence et sa voix. Sa notoriété fait le reste. Comme dans Le Tour du monde en 80 jours (1956) dans lequel on lui offre un petit rôle de pianiste aux côtés de Marlene Dietrich.

Il sera donc souvent un chanteur qui joue et un acteur qui chante tout au long de sa carrière. C'est-à-dire un artiste complet. Mais dans cette sorte de match nul, « The Voice » l'emporte tout de même à l'avantage. Après tout, que reste-t-il aujourd'hui de Frank Sinatra, disparu le 14 mai 1998 ? Une voix justement, une personnalité et un talent exceptionnels. Une légende du XXe siècle, vieux rêve évanoui de nos propres vies et de l'Amérique d'avant, celle où tout semblait permis, surtout les excès. Par chance, il reste quelques albums magiques à emporter au paradis comme Sinatra at the Sands, enregistré avec le Big Band de Count Basie, sur les arrangements de Quincy Jones, et le superbe Ol'Blue Eyes is Back, de 1973.

Et aussi des chansons, des ballades à faire tourner la tête, « Strangers in the Night », « New York, New York », « My Way », et les renversantes « It Was a Very Good Year » and « I've Got You Under My Skin ».

Mort Sinatra ? Vous plaisantez. Dans « That's Life », ne chante-t-il pas « shot down in april, riding high in may » ?

Prochain épisode : Charlotte Gainsbourg

À lire : Frank Sinatra, une figure de légende, par Nancy Sinatra (Palma), gros livre illustré de 368 pages qui s'achève en 1996.

Éric Neuhoff, Histoire de Frank (Le Livre de poche).

Frank Sinatra – Biographie non autorisée par Kitty Kelley (Presse de la Cité).

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Commentaires (7)

  • gcja

    Mervelous...

  • Iles

    Bonjour

    ajoutons aux commentaires précédents que la musique dite de jazz, racine féconde du blues, est en fait la musique classique américaine :
    George et Ira Gershwin, Harold Arlen, Cole Porter, Irving Berlin, Rogers and Heart, Jerome Kern, Johny Mercer, Duke Ellington, pour ne citer qu’eux, ont fait d’ailleurs l’objet de ce qu’on appelle des songbooks, interprétés d’ailleurs par les plus grandes divas afro-américaines : Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan, ….
    Pour en revenir à Sinatra, ses cinq enregistrements swing (label Capitol) sont un nec plus ultra que tout amateur de cette musique bénie des dieux a forcément déjà dégusté.
    Ajoutons que ses enregistrements avec les plus grands orchestres de l'époque en font une référence, quoi qu'une humeur passagère et déplacée ne semble le laisser croire à certains.
    Bonne fin de semaine ensoleillée.

  • libéral avancé

    Un mélange de roublardise et de marketing bien pensé, Il avait du talent certes mais pas plus que d’autres moins « canaille » voire moins flambeur.