Éric Morena, le prince des vocalises est mort

L'amour de l'opérette a conduit le chanteur lyrique atypique de la scène au showbiz, où il popularisa l'art des vocalises dans un style déjanté.

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Éric Morena a connu un succès fulgurant dans les années 1980. En 2019, il avait annoncé « faire une pause » en raison d'un cancer.

Éric Morena a connu un succès fulgurant dans les années 1980. En 2019, il avait annoncé « faire une pause » en raison d'un cancer.

© MAXPPP / PHOTOPQR/LE MIDI LIBRE

Temps de lecture : 3 min

Une fine moustache, des tenues flamboyantes, un art de la mise en scène savamment orchestré dans des clips cocasses : à la fin des années 1980, Éric Morena fait son entrée dans le showbiz français en cultivant les trémolos sur des chansons pastichant l'opérette, dont le cultissime « Oh, mon bateau ! » fut le plus éclatant symbole. Personne n'aurait parié cinq centimes sur cette mélodie hispanisante. Pourtant, elle fit danser la France pendant des années, devenant un classique des soirées bon enfant. Le plus drôle, c'est qu'Éric Morena n'est pas espagnol : c'est un petit gars du Nord qui s'est construit tout seul avec ses rêves débridés et son imaginaire caliente. Dans un communiqué publié samedi 16 novembre, sa famille et son agent annoncent le décès d'Éric Morena, « sa maman, son frère Bertrand Devinck, son mari ainsi que son manager Lionel Roban ont la douleur et la grande tristesse de vous faire part du décès de Monsieur Éric Morena survenu à l'âge 68 ans, à la suite d'une longue maladie à Arcachon le 16 novembre 2019 ».

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Né à Saint-Omer, dans le Pas-de-Calais, il grandit dans une famille bourgeoise catholique et préfère les voix de Dario Moreno et de Luis Mariano à celles des rockeurs des sixties. Après des études théologiques au séminaire d'Issy-les-Moulineaux et une expérience de missionnaire en Afrique, il renoue avec sa passion première et apprend l'art lyrique au Conservatoire de Paris, où il muscle sa voix de ténor autour d'anciens partenaires de Luis Mariano, puis il entame une carrière de chanteur d'opérette, notamment au théâtre du Châtelet.

« Je suis devenu le diable pour ma famille bourgeoise »

Il fait alors le tour des maisons de disques avec les chansons de son cru, des parodies où il arbore son look improbable d'hidalgo déjanté, jusqu'au jour où Polygram tente le coup en sortant « Oh, mon bateau ! » : le succès est immédiat, un million de disques vendus en 1987. Éric Morena enchaîne des tubes plus loufoques les uns que les autres avec « Je suis le torero de l'amour », « Ramon et Pedro », « Fiesta Morena »… C'est l'époque de l'argent facile, des grandes tablées, des galas à foison et ses bouffées de délires, comme son faux mariage homosexuel – une telle union est alors interdite – avec comme témoin… Frigide Barjot – qui deviendra pourtant une opposante acharnée au mariage pour tous. Derrière la farce, un acte militant pour Morena, qui souhaite faire progresser la cause gay.

Dans la famille, on tousse : on aurait préféré le voir rester discret et faire carrière dans la banque, comme le paternel. « Je suis devenu le diable pour ma famille bourgeoise », se souvenait-il dans les colonnes de France Dimanche. J'étais un défroqué pour mon père puisque j'avais quitté le séminaire. Et, même si ma mère aimait fredonner mon tube et me voir chez Michel Drucker, quand je suis passé chez Mireille Dumas dans Sexy Folies pour révéler mon homosexualité, elle a perdu ses amis et me l'a reproché… »

Dépression

En coulisse, derrière les paillettes, Éric Morena vit un drame : son compagnon meurt du sida en 1992, une perte qui le plonge dans une profonde dépression, qu'il parvient à surmonter par la prière – il reste un fervent catholique – et l'amour du métier. « Le téléphone ne sonnait plus, les gens disaient : “Il y a le sida chez Morena” », se rappellera plus tard le chanteur en évoquant sa traversée du désert. Même si son succès s'est largement estompé, l'artiste continue sans relâche à sortir des albums de reprises ou d'hommage à Dario Moreno ou à Francis Lopez, ses idoles. Il partage la vie d'un nouveau compagnon, tout en enchaînant les spectacles en province pour chanter l'insouciance célébrée dans l'opérette, ce genre désuet qu'il contribua à populariser dans les boîtes de nuit.

En 2019, nouveau coup dur quand il apprend qu'il est atteint d'un cancer : il reporte alors ses dates pour se faire soigner, mais promet de remonter au plus vite sur scène. Pour cet ancien séminariste, la foi a toujours été le meilleur antidépresseur : « Je suis très croyant, disait-il. Le temps qui passe ne m'angoisse pas. J'ai juste la nostalgie des gens qui sont morts. Ils me manquent, mais je n'ai pas du tout de regrets : les choses que j'ai vécues sont dans mon cœur. »

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Commentaire (1)

  • PointSurLesI

    Et l'époque où la France était joyeuse s'estompe petit à petit, Eric Morena en faisait partie à sa façon. Il ne fait pas de doute qu'il vogue sur son bateau, le plus beau bien sûr, pour chanter avec ses idoles pour l'éternité.