Les confidences de l'harmoniciste star de Johnny Hallyday

ENTRETIEN. Musicien vedette de Johnny Hallyday pendant dix ans, le Polonais Greg Zlap, connu pour son solo sur « Gabrielle », raconte ses souvenirs dans un livre passionnant.

Propos recueillis par

Temps de lecture : 9 min

« Je n'ai jamais vu un concert de Johnny Hallyday. » Si Greg Zlap surprend son monde en prononçant cette phrase, la relation entre le modeste musicien polonais et la star de l'Hexagone est encore plus improbable. Né à Varsovie, spécialiste de blues, habitué des sous-sols enfumés où tout embryon de musique commerciale est rejeté, Zlap n'était pas prédestiné à intégrer le groupe de Johnny Hallyday. Il est pourtant devenu au fil des tournées (2009-2017) son soliste privilégié. Dans son livre Sur la route avec Johnny, Greg Zlap – qui tient vraiment la plume – raconte, sous la forme d'un roadbook de tournée, l'évolution de sa relation avec le géant de la chanson française. On y découvre les liens quasi filiaux développés par Johnny avec son musicien, leur passion pour la musique, l'envie perpétuelle d'éblouir le public, mais aussi l'envers du décor : lorsqu'on veut creuser son sillon aux côtés de Johnny Hallyday, l'entourage veille et les embûches sont aussi nombreuses que les intérêts financiers.

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Le Point : Deux ans après votre dernier concert avec Johnny Hallyday, qu'est-ce qui vous a poussé à raconter votre histoire ?

Greg Zlap : Après la naissance de ma dernière fille, j'ai commencé à noter des souvenirs. Mes trois premiers enfants ont connu Johnny, je voulais qu'elle puisse également découvrir mon histoire aussi incroyable qu'improbable. Je me suis plongé dans mes archives et j'ai tout retrouvé : carnets de routes, « pass » musiciens et VIP, programmes dédicacés… En lisant les roadbooks de tournée, on réalise le nombre de personnes impliquées dans l'organisation d'un spectacle de Johnny Hallyday, c'est considérable ! Depuis ma rencontre avec Johnny, j'ai eu la chance de participer à tous ses concerts, y compris les Vieilles Canailles. J'ai été jusqu'au bout avec Johnny. J'ai redécouvert des anecdotes passionnantes, j'ai eu envie de les partager.

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Votre livre se présente sous la forme d'un « roadbook », avec de nombreuses photos et documents inédits…

Entre les répétitions, les coulisses des concerts et les soirées privées, j'ai retrouvé plus de 3 000 photos ! (Pendant qu'il parle, Greg Zlap fait défiler sur son ordinateur son imposante collection de photos : on y voit Johnny à Los Angeles, dans son studio de répétition, en train de chanter à genoux, déchaîné comme s'il était au Stade de France ; sur un autre cliché, le rocker s'essaye à la trompette sous le regard amusé de ses musiciens américains). J'ai passé un temps fou à les sélectionner, dater et légender. C'est comme un album personnel. Mon livre est à la fois subjectif, car je raconte les histoires telles que je les ai vécues, mais il est aussi ultra-documenté. J'évoque seulement les choses dont j'ai les preuves (documents, e-mails).

Par exemple, vous révélez que Johnny aurait dû chanter à l'Olympia, en 2010 !

Les concerts n'avaient pas été annoncés, mais ils étaient prévus sur notre programme, après ceux de Bercy. C'était pour finir la tournée, dans une ambiance intimiste. Ç'aurait été génial. Mais ils ont été annulés (après le coma de Johnny fin 2009, NDLR).

Beaucoup d'artistes s'associent à des auteurs pour publier leur livre. Vous avez choisi d'écrire vous-même Sur la route avec Johnny.

J'écris depuis 20 ans pour Blues Magazine des articles autour de l'harmonica. Je maîtrise cette forme d'écriture. Ce n'est pas comparable avec l'écriture d'un roman. Ce sont des instants : une page, une histoire courte. Ça se lit très facilement, on peut ouvrir le livre à n'importe quelle page. Mais j'ai tout de même mis un an à l'écrire !

En vous lisant, on perçoit un lien quasi filial qui semblait exister entre Johnny et vous. Comment l'expliquez-vous ?

Il y a plusieurs raisons. D'abord, je suis un outsider. Né à Varsovie, je ne connais même pas Johnny. Il n'était pas dans ma sphère. Je n'ai jamais imaginé l'idée d'essayer de m'approcher de lui. C'était hors de portée, une voie parallèle. Je voyais Johnny aux Guignols, ça m'amusait. L'image que j'avais de lui était fausse. L'autre explication, c'est la base de notre relation : la musique. Uniquement, du début à la fin. En 2007, Johnny a écouté des maquettes sur lesquelles je jouais. Il a aussitôt flashé sur l'harmonica et a demandé qui j'étais et pour quelle raison il ne me connaissait pas. Lors de notre rencontre, sa première question a porté sur l'harmonica mythique des bluesmen : « Est-ce que tu joues sur un Marine Band ? » Cette question, c'était ouf ! Dans le milieu musical, personne ne m'a jamais sorti un truc pareil. Pas un musicien, pas un réalisateur… Avec Johnny, on aimait la même musique et on parlait le même langage. Et cette relation est restée pure jusqu'au bout, car elle était désintéressée. Il y a tellement de business autour de Johnny… Si je m'étais accroché pour rester dans le groupe, je serais resté dans mes petits souliers pour ne pas me faire virer. Pour moi, il n'a jamais été question de me brider, grâce à ma relation avec Johnny. Je n'étais pas là pour faire une tournée de plus, mais parce que notre lien musical évoluait sans cesse.

Dès votre apparition dans le spectacle, en 2009, Johnny avait une vision inédite de l'utilisation de votre instrument.

Personne n'a besoin de l'harmonica. Habituellement, c'est un truc qu'on ajoute à la fin, pour faire « pouêt pouêt ». Pourquoi prendre un harmoniciste dans sa tournée ? À part pour quelques touches de blues… Mais ce n'est pas ce que Johnny a fait. Il savait comment l'harmonica pouvait sonner. Il était le seul… Au fil des tournées, les équipes changeaient et personne ne savait comment m'utiliser. Dès mon arrivée dans l'équipe, la production m'a dit qu'elle ne savait pas ce que j'allais faire, et que j'aurais un rôle mineur. J'ai donc signé pour un cachet doublement inférieur au salaire des autres musiciens. Pour les directeurs musicaux, c'était pareil : Philippe Uminsky avait des idées seulement dans l'esprit de Bob Dylan. Yarol Poupaud était dans le rock, il ne pensait qu'aux guitares. Hormis pour le blues, l'harmonica ne lui parlait pas. Yvan Cassar, c'était encore différent. Il prévoyait de très belles mélodies, très musicales, mais ne pensait pas à l'aspect « show » que seul Johnny imaginait.

Johnny vous a transformé en bête de scène…

La première fois que j'ai joué, en répétition, il m'a lancé : « Tu ne vas pas rester planté devant ton micro comme un piquet ? » J'ai compris qu'être un bon musicien ne suffisait pas pour accompagner Johnny. Il aimait avoir du répondant. Aucun chanteur ne se mesure vraiment à lui, car il est trop puissant, trop fort. Lara Fabian l'a fait, et c'est resté dans les mémoires (« Requiem pour un fou », au Stade de France, en 1998, NDLR). Elle y avait mis toute son énergie. Johnny avait beaucoup de respect pour ça. Il me poussait à le défier. C'est devenu un jeu entre nous.

Et Johnny a partagé « Gabrielle », « sa » Gabrielle, avec le petit nouveau de la bande !

Je ne connaissais même pas cette chanson et son rituel des bras croisés ! J'ai découvert plus tard que, depuis 1976, « Gabrielle » n'avait jamais quitté son répertoire. En m'attribuant le solo de ce classique, il me confiait une part importante du spectacle. Le public avait l'habitude des « Guitar Hero », Johnny a inventé pour moi le concept d'« Harmonica Hero » ! C'était son intuition. Avec mon envie de faire le show et d'apprendre sa vision, ça a explosé. Le public m'a aussitôt adopté. Seul Johnny pouvait oser un truc pareil. Aucun autre chanteur n'aurait pu supporter un instrumentiste qui prenne ainsi la lumière. À côté d'un chanteur plus « faible », ça n'aurait pas marché, ça lui aurait fait de l'ombre. Johnny était tellement fort qu'on ne pouvait pas lui faire de l'ombre.

Pourtant, vous révélez dans votre livre que vous avez hésité à quitter le groupe avant la tournée « Rester Vivant », en 2015.

Johnny m'avait dit qu'il voulait arrêter de chanter « Gabrielle ». Je ne voulais pas m'imposer. Mais pour lui, il n'était pas question que je parte. Un jour, il me téléphone. Je m'isole dans la salle de bains. Il me demande de préparer un solo d'harmonica sur « Ma chérie, c'est moi », un titre que personne ne connaît, présent sur l'album Rock à Memphis (1975). Comme je ne l'ai jamais entendu, il se met à chanter au téléphone !

Finalement, vous êtes resté… et « Gabrielle » aussi !

Johnny m'a donc demandé d'imaginer un nouveau solo pour revisiter encore ce grand classique. J'avais l'impression d'avoir déjà tout fait au maximum… alors comment faire plus ? Mon idée fut d'en faire moins : tout arrêter, et me laisser seul en scène. Imaginez le tableau : un petit harmonica, tout seul en plein milieu d'un show de Johnny Hallyday. C'est ridicule ! Johnny a pourtant validé… et ça a marché. Chaque soir, je jouais seul pendant la durée d'un morceau entier, c'est le témoignage d'une confiance absolue. Je ne connais aucun autre artiste qui aurait osé. Cela n'existe pas !

Lors de la dernière tournée des Vieilles Canailles, quand Johnny était malade, vous jouiez aussi votre solo chaque soir.

Au début, je ne voulais pas y croire. Et quand j'ai réalisé qu'il était vraiment malade, je me suis dit que ce solo de « Gabrielle » était ma manière de le soutenir. Au moins, pendant les cinq ou six minutes d'harmonica, je le laissais souffler, j'avais l'impression de le soulager.

Vous étiez aussi à la Madeleine, le 9 décembre 2017, pour l'hommage national…

Pour moi, c'est mon dernier concert avec Johnny. La 282e fois que je jouais « Gabrielle » avec lui… L'opérateur prompteur était là, il faisait défiler les paroles. Sa guitare, son public, c'était une communion. J'entendais sa voix.

Dans votre livre, vous racontez aussi l'envers du décor de votre dizaine d'années avec Johnny. La difficulté à se frayer un chemin dans la galaxie Hallyday, malgré la bénédiction du principal intéressé.

Johnny aimait beaucoup ma musique. Après le concert de la tour Eiffel, en 2009, il m'a dit : « Chez moi, je range tes disques entre Bruce Springsteen et Bob Dylan. » Un jour, alors que je lui parlais de mon projet d'album solo, il m'a proposé de chanter en duo avec moi. Malgré sa carrière et toute la grosse machinerie, je voyais un homme se passionner comme un gamin pour de la musique. Il en avait envie. Mais nous avons été naïfs tous les deux, c'était trop compliqué de mettre ça en place avec les maisons de disques. Johnny était quand même allé jusqu'à proposer de payer la séance d'enregistrement à Los Angeles !

Vous n'avez donc jamais enregistré ce duo. Mais Johnny est revenu à la charge…

Dans la loge du théâtre Edouard VII, alors qu'il venait de terminer une représentation (Le Paradis sur terre, de Tennessee Williams), Johnny me dit que le duo se fera sur scène, lors de sa prochaine tournée. Là encore, ce fut trop compliqué… Johnny a tellement de tubes, que si on ajoutait ma chanson au programme, on devait retirer l'une des siennes. Et il faut savoir qu'à chaque nouvel album, la France entière écrivait une chanson pour Johnny. Avoir son titre sur un album de Johnny, en termes de droits d'auteur, c'est énorme. J'aurais pris la place de quelqu'un d'autre… Il y a eu des moments difficiles, j'ai aussi été effacé d'un album. En dehors de la scène, il y a plein de paramètres. Promotion, tournée, maison de disques… avec énormément d'intervenants qui ont tous des intérêts différents. En revanche, dès qu'il était sur scène, Johnny était le seul maître de tout, et seul son public comptait.

Vous racontez aussi dans votre livre l'histoire de « Crucified », une chanson que vous aviez écrite pour Johnny, et qu'il avait adorée. Ce titre n'a finalement jamais été enregistré. Vous préparez actuellement votre prochain album, Rock It. Donnerez-vous vie à cette chanson ?

Peut-être (sourire) !

Greg Zlap sera en tournée au printemps 2020. Le 26 mai à la Maroquinerie à Paris.

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Commentaires (3)

  • abricotte

    Peut-être... Et en quoi cela vous dérange ? Moi, j'ai apprécié cet article qui nous montre la gentillesse et le professionnalisme de Johnny et pourtant je n'ai jamais été une fan.

  • comet's59

    Vu sur scène sur la tournée Vieilles Canailles Ce garçon est vraiment talentueux.

  • TSLR

    Ils vont tous faire un bouquin sur johnny...