Whitney Houston : de ses débuts à sa mort, le harcèlement sans fin d'un père toxique

LES PAPAS MANAGEURS. Il n’en avait jamais assez. Après avoir dévoré la fortune de sa fille, John Houston lui a réclamé 100 millions de dollars.

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Whitney Houston en plein concert le 3 octobre 2009 en Allemagne.
Whitney Houston en plein concert le 3 octobre 2009 en Allemagne. © PATRICK SEEGER / DDP POOL / dpa Picture-Alliance via AFP

Temps de lecture : 6 min

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Il l'appelait « Nippy », « esprit rapide », une référence à un personnage de dessin animé qui cherchait toujours les ennuis. Cadette de deux garçons, Whitney était la favorite de John Russell Houston, un bellâtre charismatique épousé en deuxième noce par sa mère Cissy Drinkard, choriste pour Elvis et Aretha Franklin, et membre des groupes Sweet Inspirations puis The Drinkard Singers, avec notamment sa nièce, Dionne Warwick.

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Autodidacte, John Houston a été soldat lors de la Seconde Guerre mondiale puis a gravi les échelons, passant de conducteur de poids lourds au cabinet de Kenneth Gibson, le premier maire noir de Newark, où la famille grandit pendant les émeutes de 1967. Il est l'homme de main de l'édile corrompu et amasse un petit pactole dans des affaires louches. Il est aussi le manageur de sa femme, dont la carrière solo peine à décoller. C'est à l'église, en écoutant sa fille de 11 ans chanter « Guide Me O Thou Great Jehovah » qu'il a une révélation : la star de la famille, ce sera elle. Whitney fait ses armes sur scène auprès de sa mère, qui lui enseigne toutes les techniques de chant.

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Whitney a un don : une voix qui peut monter si haut dans les aiguës qu'elle peut attraper (et surtout retenir) la « note d'or », ce qui ne l'empêche pas de plonger dans les graves pour piocher dans les tonalités profondes de l'âme. Longue brindille à la beauté fracassante, drôle et pétillante, son sourire est contagieux, son charme est ravageur. Elle prend la pose pour des magazines de jeunes filles, et elle est même la première femme noire à apparaître sur la couverture de Seventeen, une publication pour adolescentes. Icône de mode, elle arbore des tenues colorées, aux épaules bouffantes et à la taille serrée. Elle est le visage des années 1980 : ouvert, confiant, brisant les tabous de la ségrégation. Elle maîtrise d'ailleurs parfaitement les codes de la soul, mais aussi de la pop, à tel point que le président d'Arista, le puissant Clive Davis qui la découvre à un concert de sa mère à New York, voit en elle un pont entre les cultures noires et blanches américaines.

L'homme qui a signé les Pink Floyd, Janis Joplin, Bruce Springsteen ou encore Aerosmith y croit fort. Il gère directement l'aspect musical de la carrière de la jeune chanteuse. Pour le business, Whitney donne toute autorité à son père. Celui-ci avait déserté le foyer familial ces dernières années ; il est comme par hasard très présent depuis que les majors tournent autour de sa progéniture… CEO de sa compagnie Nippy Incorporated, il gère tous ses contrats artistiques et publicitaires, et se rémunère grassement.

200 millions à 20 ans

En effet, le premier album de sa fille, coproduit par Jermaine Jackson et sobrement intitulé Whitney Houston, est numéro un des charts pendant 14 semaines d'affilée. Sacré Meilleur album de l'année aux Grammy Awards, 25 millions d'exemplaires s'écoulent dans le monde grâce à ses tubes intemporels, sautillants ou émouvants « You Give Good Love », « Saving All My Love for You », « How Will I Know », « Greatest Love of All »… Jackpot ! Tournées mondiales, Super Bowl, campagnes pour Canada Dry, Coca Cola Light… Elle enchaîne aussi les tubes (« I Wanna Dance With Somebody » !) jusqu'à devenir une des plus importantes vendeuses de disques au monde (220 millions d'albums écoulés en tout). À 20 ans, elle a déjà ramassé 200 millions de dollars.

Évidemment, le cinéma ne lui résiste pas. En 1992, elle est à l'affiche du film The Bodygard. C'est son premier rôle au cinéma. Dans cette comédie romantique à suspense réalisé par Mick Jackson, elle joue une star victime d'un harceleur protégée par un ancien agent secret reconverti en garde du corps interprété par Kevin Costner. Le rôle a été écrit dans les années 1970 par Lawrence Kasdan (scénariste de L'Empire contre-attaque, Le Retour du Jedi, Les Aventuriers de l'arche perdue…) pour Steve McQueen et Diana Ross, mais le projet a été tellement reporté que c'est finalement Whitney Houston et Kevin Costner qui reprendront les rôles vingt ans plus tard. Il est blanc, elle est noire, ce n'est jamais souligné dans le film : le public adore. Le film rapporte 411 millions de dollars. Surtout, sa bande originale « I Will Always Love You » est le single le plus vendu de l'histoire par une artiste femme. Il reste 14 semaines en tête des charts. Le début d'une carrière sur grand écran… Whitney entre dans le petit cercle des grandes divas.

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Pendant ce temps, toute la famille Houston vit sur la bête (de scène). John, toujours aussi opportuniste, éloigne toute personne s'approchant trop de sa fille. Il aime l'argent et le pouvoir, alors quand elle devient une super star, il l'utilise au maximum, brandissant son nom pour ouvrir toutes les portes qui lui restaient fermées. Il a des allures de mac. Paradant dans un lourd manteau, il verse un salaire aux frères de la chanteuse, des incapables drogués qui l'initient à la marijuana et à la coke. Elle se laisse faire. Elle ne pense qu'à s'amuser et à profiter de l'instant présent. « Il nous est arrivé de nous crier dessus. Mais c'était toujours au sujet du business. Je ne pourrai jamais me disputer avec mon père pour autre chose. Je ne trouverai jamais personne qui m'aime autant que mon père. Je reste une petite fille à son papa », confiera-t-elle.

Elle dit non

Seul Bobby Brown, sale gosse chanteur de R & B dont Whitney tombe raide dingue amoureuse, fait de l’ombre au paternel. Quand elle l’épouse en 1992, le mari violent et volage ne rechigne pas à prendre sa part du gâteau. Avec lui, elle tombe dans la drogue, sa carrière se délite. Quand sa mère essaie de l’envoyer en cure de désintoxication, son père lui dit qu’elle n’en a pas besoin (tiens tiens, ça nous rappelle quelqu'un…). Whitney ne peut pas s'absenter : elle doit continuer à faire tourner la planche à billets. Personne dans son entourage ne défend sa santé. Même Robyn, l'ex-amante, amie, complice, et assistante de toujours a fini par partir, sur demande de Bobby. Whitney, aveuglée, ne l'a pas retenue. Arrêtée en possession de cannabis à Hawaï en 2000, c'est encore papa qui la sort de là.

Personne n'est cependant à l'abri de devenir trop gourmand. En 2002, John lui réclame 100 millions de dollars, la totalité du montant du contrat qu'elle a signé avec Arista pour son renouvellement en 1999. Pour la première fois, elle dit non. Malade, il convoque alors les caméras de télévision dans sa chambre d'hôpital. Fixant l'objectif de sa pupille humide, il gémit : « Je suis fatigué, Whitney, d'être laissé pour compte […] Il est maintenant l'heure de me payer. Donne-moi l'argent que tu me dois ou je t'attaque en justice ! » Nippy ne cèdera pas. Le cœur brisé, elle ne lui parlera plus. Sa fragilité face aux hommes s'expliquerait-elle par des failles héritées de l'enfance ? On soupçonne en effet sa cousine Dee Dee Warwick d'avoir abusé d'elle alors qu'elle était petite…

Quand John décède en 2003, à 82 ans, sa fille unique lui fera ses adieux en tête à tête, la veille de funérailles auxquelles elle n'assistera pas. Pourtant, même depuis sa tombe, John ne la lâche pas. C'est elle qui a hérité de sa police d'assurance vie d'un million de dollars (qu'elle a elle-même financée). Sa belle-mère (une femme de ménage qui avait 40 ans de moins que lui) s'empresse alors de lui faire un procès pour récupérer la somme, depuis la maison que Whitney leur a achetée (et dont elle a aussi hérité). Résultat : Whitney récupérera l'argent et la maison, dont elle payait encore les traites.

En 2009, elle excuse le comportement inexcusable du paternel auprès d'Oprah Winfrey : « Mon père était sous l'influence de menteurs. Il était malade, il était à l'hôpital… » Elle était d'ailleurs bien placée pour le savoir : c'est elle qui payait ses frais d'hospitalisation. « Donc vous lui pardonnez ? - Absolument. J'aimais mon père. »

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La suite sera une descente aux enfers pour « The Voice ». Whitney Houston reste un des destins les plus tragiques de la pop : celui d'une fille qui a tout pour elle (une voix hors du commun, une beauté spectaculaire, un talent rare, des capacités de travail surhumaines, un phénoménal succès) et qui finira ruinée, seule, SDF, droguée au crack et à la cocaïne. On la retrouvera noyée dans une baignoire d'hôtel à Beverly Hills, à 48 ans, en 2012.

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Commentaires (2)

  • Aspie Rine

    "L'homme qui a signé les Pink Floyd... "

  • P'tit-Loup

    Whitney Houston à connu effectivement un destin tragique, sous l'emprise de son père qui ne l'a pas laisser respirer. Quel dommage et quel talent, et cette voix unique. J'ai été surpris et triste à l'annonce de son décès en 2012. Il nous reste ses chansons avec cette voix formidable.