Xavier Bertrand – Ce qui fait le plaisir d'être français, c'est la culture

TRIBUNE. Incitation à l'achat de livres, réouverture des cinémas, soutien aux festivals… Le président des Hauts-de-France plaide pour un plan culturel d'urgence.

Par Xavier Bertrand (*)

Temps de lecture : 5 min

Le président de la République a choisi d'utiliser une métaphore guerrière pour qualifier le fléau qui nous frappe. Si nous acceptons cette expression, profitons-en pour nous souvenir d'un homme d'État qui sut conduire et gagner une guerre. Alors que la Grande-Bretagne tenait tête, presque seule, à la puissance militaire nazie, Winston Churchill refusa net toute coupure dans le budget national de la culture en déclarant : « Si on ne se bat pas pour notre culture, alors pourquoi nous battons-nous ? »

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Il en est de même pour nos contemporains. Si, nous, nous nous confinons depuis des semaines, si nous sacrifions une grande partie de nos activités, si le personnel hospitalier se bat, jour après jour, c'est pour sauver des vies et tout ce qui fait qu'une vie mérite d'être vécue.

Nous supportons cette épreuve parce que nous trouvons, en nous et à côté de nous, les forces nécessaires qui nous persuadent de la nécessité de ce combat. Nos familles, nos amis et nos proches nous donnent l'énergie de lutter contre le virus, mais ce qui fait le plaisir d'être français, cet art de vivre si particulier qui est le ressort de notre nation, c'est bien la culture, notre culture. Le déploiement de créativité et parfois de drôlerie qui déferle depuis des semaines sur les réseaux sociaux en est l'illustration.

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Un grand plan de relance de l'édition française

C'est la raison pour laquelle, au sortir du confinement, nous voulons retrouver la France que nous aimons. Certes, il faudrait être irresponsable pour imaginer que tout redeviendra comme avant en quelques semaines, mais, si nous ne nous précipitons pas, dès aujourd'hui, au secours du secteur culturel, il ne se relèvera jamais de cette crise et la France ne sera plus la France car je crois à la spécificité et même – osons le mot – à l'identité française.

Les librairies devraient rouvrir dès le 11 mai. Bonne nouvelle. J'ai d'ailleurs la conviction – et je ne suis pas le seul – qu'elles auraient dû rester ouvertes pendant toute la période de confinement car, au pays de Voltaire et d'Hugo, le livre est un produit de première nécessité. La décision technocratique a été autre.

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Pour autant, il ne faut pas s'arrêter là. Un grand plan de relance de l'édition française doit être immédiatement mis en place par une politique d'incitation à l'achat de livres. Subventions ? Chèques-livres ? Toutes les pistes doivent être étudiées, mais les régions françaises, dont la mienne, assumeront leurs responsabilités.

Enfin, dès lors que les lieux de culte pourront à nouveau accueillir les fidèles pour des cérémonies publiques – pas avant le 2 juin, si j'ai bien compris –, les lieux de culture doivent aussi rouvrir simultanément, et je pense notamment aux musées et aux galeries.

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Ce qui est possible pour un supermarché doit l'être pour un multiplex

Il est impératif que cette autorisation soit étendue aux salles de cinéma en demandant, bien sûr, aux professionnels de mettre en place les mesures de sécurité nécessaires. Ils y sont tout à fait prêts à condition, bien sûr, de pouvoir présenter des films attractifs. Ce qui est possible pour une supérette doit l'être pour un cinéma de quartier. Ce qui est possible pour un supermarché doit l'être pour un multiplex.

Enfin, c'est un véritable crève-cœur de voir annulés, les uns après les autres, tous ces festivals de musique, de théâtre, de danse, ces arts de la rue qui font que nos étés ne ressemblent à aucun autre dans le monde. Les assurances doivent, ici, jouer pleinement leur rôle social afin de permettre à des manifestations qui jouent leur survie sur quelques jours d'être véritablement indemnisées pour avoir la force de revenir dans une prochaine édition.

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Je demande par ailleurs au gouvernement, dans le cadre de la future loi sur l'audiovisuel ou dans tout autre, de transcrire au plus vite la directive SMA de façon à imposer des obligations d'investissements aux plateformes sur Internet comme Netflix, Amazon Prime ou Disney et à modifier, enfin, la chronologie des médias. Nos producteurs audiovisuels et de cinéma ont un besoin urgent de ces investissements pour continuer à travailler ! Des dizaines de projets magnifiques sont à l'arrêt. La France a un rang culturel à tenir dans le monde. Notre Histoire, notre patrimoine ne sont pas moins passionnants que ceux du Wessex ou de Westeros, et peuvent alimenter, à eux seuls, des dizaines de séries ! Quant à notre littérature, elle ouvre à la création des horizons presque infinis. Il est donc urgent de définir clairement les nouvelles règles sanitaires permettant la reprise des tournages.

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Pendant qu'il faisait fortifier Lille, Louis XIV applaudissait Racine et Molière

France 4 a montré pendant toute la durée du confinement l'importance de cette chaîne du service public en diffusant les programmes construits avec l'aide de l'Éducation nationale. J'espère que la voilà définitivement sauvée de la casse budgétaire que voulait imposer l'obsession comptable ! Continuons à utiliser cette « petite chaîne » pour apporter le savoir – le vrai – à tous ceux qui n'ont pas la chance de naître entre une bibliothèque et un piano. Ce serait l'honneur du service public.

Nos entreprises ont besoin d'argent, notre pays a besoin d'être réindustrialisé, notre système hospitalier a besoin d'être repensé autour des soignants, mais le secteur culturel tout entier – composé le plus souvent de professionnels, d'artisans, d'intermittents et de bénévoles passionnés – doit aussi faire l'objet d'une attention toute particulière. L'enjeu sanitaire est toujours notre priorité, les plans de soutien sont un impératif, les plans de relance occupent les esprits, mais n'oublions jamais que, pendant qu'il faisait creuser le canal du Midi et fortifier Lille, Louis XIV applaudissait le théâtre de Racine et de Molière.

L'oublier, ce serait nous nier nous-mêmes, nier l'âme de la France.

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(*) Ministre de la Santé de 2005 à 2007 puis ministre du Travail des trois gouvernements Fillon, Xavier Bertrand est depuis janvier 2016 président du conseil régional des Hauts-de-France.

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Commentaires (41)

  • VIVE 2027

    Les Français sont cultivés, or je suis Français, donc je suis cultivé.
    Parfois, un syllogisme est préférable à une vérification.

  • DominiqueD2B

    Il a parfaitement raison, mais de quelle culture parle-t’il ? Celle de Netflix ? Celle des banlieues ? Celle du foot ? Car celle de l’école me semble avoir du plomb dans l’aile. Si le confinement a changé quelque chose, tant mieux, mais j’en doute. J’ai bien peur que la culture relève en effet d’un plan d’urgence, mais qui n’aura pas lieu : le mondialisme tue toutes les cultures indigènes...

  • Dizul

    D'accord avec vous. Il y a trois populations à qui profite la culture :
    -celles/ceux qui en vivent grassement ; les intermittents du spectacle (acteurs, techniciens, musiciens, les fameux "spectacles du vivant" qui "vivent" réellement 4 mois par an au plus) qui font partie des régimes spéciaux dispendieux évidemment.
    - les producteurs et autres profiteurs des 250 films annuels financés à 100% par le denier public, sans prise de risque car sans besoin du moindre spectateur. Qui connait le quart de ces films dits d'Auteurs ?
    - les spectateurs. Ce dernier groupe est assez restreint en nombre (on peut le regretter) et à forte majorité urbaine.
    Je mets de côté les musées, plus décentralisés et plus populaires que cette culture urbaine sélective et snobe.
    Quant au patrimoine : les fonds réservés au patrimoine représentent 3% du budget de la Culture. Une situation qui ne permet pas d’entretenir les monuments, églises, et œuvres d’art qui constituent pourtant une richesse inestimable pour le pays.
    C'est équitable, non ?