Ibrahim Maalouf : « Ces personnes ont changé ma vie… »

À l’occasion de la publication de son nouvel album, le trompettiste confie au « Point » les rencontres qui ont bouleversé son existence.

Propos recueillis par

Pour son avant-dernier disque, intitulé Queen of Sheba, en collaboration avec Angélique Kidjo, Ibrahim Maalouf est nominé aux Grammy Awards 2023 dans la catégorie Best Global Music Album.
Pour son avant-dernier disque, intitulé Queen of Sheba, en collaboration avec Angélique Kidjo, Ibrahim Maalouf est nominé aux Grammy Awards 2023 dans la catégorie Best Global Music Album. © BOBY

Temps de lecture : 9 min

Son dernier album, intitulé Capacity to Love*, mélange tout à la fois jazz, funk, rap et musique électronique… comme un grand « mezzé » croisant les styles et les influences. Conçu au moment où (re)commençaient à gronder les armes à l'est de l'Europe, Ibrahim Maalouf dit l'avoir envisagé comme un hymne à la paix. « Ce 15e album célèbre la beauté des métissages et du partage », dit-il. « Toutes choses dont nous avons particulièrement besoin dans les temps troublés que nous traversons », insiste le trompettiste.

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Pour le composer, Ibrahim Maalouf a confié les clefs de son studio à deux jeunes producteurs (NuTone et Henry Was) et invité à jouer et chanter avec lui des personnalités aussi diverses que Matthieu Chedid, Gregory Porter, JP Cooper, Pos of De La Soul ou encore Sharon Stone. Une nouvelle illustration de la manière dont cet artiste envisage son art. « La musique est une ode à la fraternité et à la tolérance », clame-t-il, ajoutant que sa vie entière a été une succession de belles rencontres. Alors qu'il enchaîne une série de concerts à travers l'Hexagone, il nous les raconte ici.

Marc-Antoine Moreau et Vincent Ségal

« On ne sait jamais ce qu'un rendez-vous peut déclencher. On connaît tous cette histoire de "l'effet papillon" : un battement d'ailes à un bout de la planète peut provoquer une tempête de l'autre côté du globe. C'est ce que j'ai vécu en rencontrant Vincent Ségal. C'était il y a un peu plus de vingt ans. J'étudiais la trompette au conservatoire et, après un cours catastrophique dont j'étais sorti particulièrement abattu avec la conviction que je ne trouverais pas ma place dans le monde de la musique classique…, je m'étais mis à marcher sans but, rue de Rome. Je suis entré à la Fnac Saint-Lazare et ai commencé à feuilleter des livres. Il y avait là un ouvrage au titre inspirant : Le Guide du spectacle. Je l'ai ouvert. Il rassemblait tout un tas de coordonnées de professionnels. Mon regard s'est arrêté sur un petit label qui s'intéressait aux musiques du monde. Je me suis dit que c'était le genre de maison qui pouvait peut-être s'intéresser à moi.

J'ai appelé et suis tombé sur une standardiste qui avait une drôle de voix. Elle m'a expliqué que son entreprise était en train de fermer et que tous les salariés faisaient leurs cartons. J'ai quand même laissé mon numéro. Une heure après, le patron de cette structure, Marc-Antoine Moreau, me proposait de passer le voir. Je lui ai joué deux ou trois morceaux. Il a alors passé un coup de fil à l'un de ses amis qui enregistrait avec un groupe occitan du côté d'Austerlitz. « Vas-y tout de suite, ils t'attendent », m'a-t-il soufflé. J'ai foncé. C'est là que j'ai fait ma première grande rencontre professionnelle en la personne de Vincent Ségal qui m'a demandé d'improviser un solo. Il l'a enregistré et glissé : « Tu vois ? On va mettre ton morceau dans notre disque. C'était justement ce qu'on cherchait. » Le matin même, j'étais désespéré. Le soir, je me retrouvais à jouer pour la première fois avec des pros. Vincent Ségal m'a présenté ensuite tous les gens qui comptent dans le monde de la musique. Marc-Antoine Moreau est décédé aujourd'hui. Mais je lui dois énormément. De la même manière qu'il a découvert Hamid El Gnawi ou Amadou et Mariam, je peux dire que c'est lui qui m'a permis d'être celui que je suis aujourd'hui. »

Lhasa de Sela

« J'ai passé l'un de mes premiers grands concours internationaux à Washington au printemps 2002. J'en ai profité pour aller à New York et voir Ground Zero où j'avais l'impression que fumaient encore les Twin Towers récemment détruites par des attaques terroristes. Je voulais, jusque-là, devenir architecte. C'est peut-être en voyant ces ruines que je me suis dit que j'allais plutôt faire de la musique. Six mois plus tard, j'étais à Montréal où ma route a croisé celle de Lhasa de Sela. Nous nous sommes tout de suite bien entendus. C'était une chanteuse extraordinaire, dotée d'une rare capacité d'écoute. Elle m'a donné le sentiment de comprendre immédiatement ce que je faisais. Nous avions en partage une histoire nomade, une forme d'identité créole. Elle aussi m'a demandé d'improviser et proposé de participer à son album The Living Road. C'est là qu'a commencé de s'ébaucher ce qui serait mon premier disque. Je ne cesse de méditer ce qu'elle m'a dit alors : "Ne cherche pas à copier qui que ce soit. Contente-toi d'être toi-même." Lhasa est décédée en 2010 mais je repense très souvent à ses paroles. »

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Matthieu Chedid

« C'est par Vincent Ségal que j'ai rencontré Matthieu. J'ai joué sur son deuxième album. Puis je lui ai demandé de travailler avec moi sur le mien. Avec lui aussi, les choses se sont faites naturellement. J'ai tout de suite saisi que nous avions un lien spécial. Si je le considère comme un frère, c'est que nous avons en commun un lien très fort qui doit sûrement à une histoire troublante. Au-delà de nos origines libanaises communes, nous avons un point de connexion inattendu. En effet, nous avons compris que nos grands-mères (Odette Ghossein pour moi, Andrée Chedid pour lui) jouaient aux cartes dans le même club à Alexandrie. Toutes deux avaient émigré de Beyrouth et je les imagine tapant le carton en regardant couler le Nil. »

Alejandra Norambuena Skira

« Dans les contes pour enfants, des bonnes fées se penchent parfois sur le berceau des personnages. Alejandra Norambuena Skira est pour moi l'une de ces fées. C'est une personnalité importante du monde de la musique. Elle travaille dans l'ombre mais son rôle est immense. Elle a longtemps œuvré au sein d'un fonds d'action de la Sacem qui soutenait les artistes en distribuant des bourses. Je devais avoir 23 ans quand je lui ai fait entendre ce qui allait être mon premier album (Diasporas, sorti en 2007). Je la revois encore fondre en larmes en l'écoutant et me poser cette question : "C'est quoi ton plus grand rêve ?" Ma réponse était simple : "Vivre de la musique." »

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Sting

« C'est lors d'un concert au théâtre du Châtelet que je l'ai rencontré. Je crois que c'est Steve Nieve, le clavier d'Elvis Costello, qui l'avait fait venir. À la fin du spectacle, Sting est venu me féliciter pour mon solo. Il m'a pris dans ses bras et m'a dit qu'il aimerait bien jouer avec moi. Dans ces moments-là, vous ne savez pas trop quoi penser. Je n'ai pas pu m'empêcher de me dire que c'était une formule de politesse destinée à me faire plaisir. Mais, quelques semaines plus tard, il me faisait appeler et je me suis retrouvé dans sa maison en Toscane. J'ai passé deux semaines de rêve à enregistrer dans son studio. Qu'un artiste tel que Sting se comporte ainsi avec moi m'a donné beaucoup de confiance. D'autant qu'il m'a rappelé plusieurs fois par la suite. En 2009, il m'a même proposé de faire une tournée avec lui. Mais j'ai dû refuser car j'étais sur le point de devenir père et je voulais être là pour la naissance de ma fille. Tout le monde a cru que j'étais tombé sur la tête. On m'a dit que j'étais fou de décliner ainsi une tournée de quarante dates avec lui, mais cela ne m'a pas empêché de le retrouver plus tard. C'est ainsi avec Sting que j'ai joué au Bataclan pour la réouverture du lieu après les attentats de novembre 2015. »

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Hiba Tawaji

« Ma femme est une personne d'une force incroyable. C'est un appui précieux pour moi. Je n'hésite pas à dire qu'elle est plus solide que moi. La musique nous a fait nous rencontrer (elle est chanteuse depuis 2007 et est devenue une vedette dans tout le Moyen-Orient après sa participation à The Voice en 2015, NDLR). Non seulement elle m'aide à respirer, mais elle m'a permis de traverser la période la plus dure de ma vie : le marathon judiciaire qui a suivi la publication dans un journal d'un article mensonger (Ibrahim Maalouf y était accusé d'agression sexuelle, NDLR). Moi qui avais, jusque-là, eu une existence paisible, je ne savais pas me battre et me suis retrouvé démuni face à ces attaques. Hiba m'a beaucoup appris pendant cette période. Et cette épreuve a énormément renforcé nos liens. Si je peux parler tranquillement de ces mois horribles aujourd'hui, c'est que j'ai non seulement été innocenté par la justice, mais j'ai aussi fait condamner le titre qui avait propagé ces accusations ignobles. »

Quincy Jones

« C'est à Montreux que nous avons fait connaissance. Quincy Jones y vient chaque année. Il a assisté au concert que j'y ai donné à l'été 2017. Il est resté jusqu'au bout, ce qu'il fait rarement. Nous nous sommes revus après. Et il m'a proposé de travailler avec lui. Quand il me l'a dit, je n'y croyais pas. Ce monument, cette légende qui a accompagné des mythes comme Ray Charles ou Michael Jackson, me prenait dans son écurie. J'avoue que, même aujourd'hui, je dois me pincer pour réaliser. »

Sharon Stone

« Pour mon 15e album, j'ai placé en ouverture du disque un extrait de voix de Charlie Chaplin tiré du Dictateur. Ce discours me semble résumer la folie du monde dans lequel nous vivons. J'avais envie qu'une voix féminine, d'une icône du cinéma, lui réponde dans le dernier morceau. Nous ne nous connaissions pas, Sharon Stone et moi, mais je savais qu'elle me suivait sur les réseaux sociaux et elle avait plusieurs fois manifesté sur le Web l'intérêt qu'elle porte à mon travail. C'est pourquoi je me suis décidé à sonner à sa porte. Je lui ai fait écouter ce que j'avais composé et sa réaction m'a beaucoup frappé puisqu'elle s'est aussitôt mise à pleurer. La sincérité de sa réaction m'a bouleversé. Quand la musique s'est arrêtée, elle m'a dit qu'elle avait un texte pour moi. C'est celui qu'elle dit, sur cet air, dans Our Flag. Un poème d'une grande force. Nous avons tourné le clip chez elle et là encore les larmes se sont mises à couler sur son visage quand la caméra tournait. J'ai été très touché qu'elle se mette ainsi à nu. »

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Maurice André

« Ce grand soliste a été un immense professeur de trompette. C'est lui qui a formé mon père quand il est arrivé en France à la fin des années 1960. Maurice m'a aussi accompagné et je peux dire qu'il a été également mon maître. C'est pourquoi j'ai été particulièrement heureux de pouvoir lui rendre hommage en réactivant un prix qui porte son nom. Le Concours de trompette Maurice-André est un concours international de trompette dont la première édition s'était déroulée en 1979. En 2006 avait eu lieu la sixième et dernière édition de ce concours. En novembre dernier, nous avons recréé ce prix qui a été remis à l'Allemand Sebastian Berner. En participant à cette aventure, j'ai eu l'impression qu'une boucle se refermait. »

Marie-Louise Girod

« Je terminerai en évoquant ici une grande dame qui a travaillé avec mon père, une femme incroyable, pleine d'humour et de positivité. Je veux parler de Marie-Louise Girod, l'organiste titulaire des orgues de l'Oratoire du Louvre à Paris. C'était l'épouse d'André Parrot, un grand archéologue qui fut aussi directeur du Louvre. C'était une femme extraordinaire. Elle nous a souvent invités à jouer, mon père et moi, pendant les offices de ce temple protestant alors que j'avais 8 ou 9 ans. Elle m'a beaucoup encouragé et, grâce à elle, nous avons fait des concerts mélangeant trompette et orgue sur des musiques de Vivaldi, Albinoni ou Purcell. C'est elle qui m'a éveillé à l'importance de l'improvisation quand j'étais jeune. »

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Dans ce nouvel album, Ibrahim Maalouf conjugue les musiques urbaines en faisant se rencontrer des artistes en provenance d'univers très différents...
 ©  Simon Bull
Dans ce nouvel album, Ibrahim Maalouf conjugue les musiques urbaines en faisant se rencontrer des artistes en provenance d'univers très différents... © Simon Bull
*Capacity to love, d'Ibrahim Maalouf, avec Gregory Porter, Pos of De La Soul, JP Cooper, Erick the Architect du groupe Flatbush Zombies ou encore D Smoke. Mais aussi -M- (Matthieu Chedid), Cimafunk, Tank and the Bangas, Sheléa Frazier, Alemeda, Sharon Stone et Charlie Chaplin. 

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Commentaires (5)

  • Irvingboyd

    On voit le Nil depuis Beyrouth ?

  • fiolasse

    L occupation de l espace médiatique de cet honnête, sans plus, trompettiste m étonnera toujours. Son agent doit être très efficace pour cela. Miles Davis doit se marrer, ou se lamenter, dans sa tombe.

  • Pierrexx

    Voilà ce qu’il disait de l’orchestre philharmonique de Vienne. Surpris que Le Point invite ce personnage très discutable.