Après avoir écumé les scènes aux quatre coins du globe durant huit ans avec deux disques où perle le rock, Last Train nous a offert un morceau épique de (quasiment) vingt minutes avant un passage symbolique à l’Olympia le 22 mars dernier. Rencontre à Paris avec le quatuor alsacien.
S’ils nous affirment qu’il n’y a pas de “storytelling”, la petite histoire a quand même de quoi faire jubiler. À peine trente piges au compteur, ces quatre mecs débarqués d’Alsace et désormais installés à Lyon ont monté un groupe au collège avant de parcourir le monde avec Weathering, paru en 2017, et The Big Picture, sorti en 2019, deux disques où les riffs électriques traînent jusqu’à l’épuisement tandis que les préludes de piano sifflent entre les crevasses. Arrivé à quai en 2014, Last Train vient grossir les rangs du rock français pour le réévaluer, plutôt que le démanteler.
De How Did You Get There?, leur nouveau single qui s’étend sur dix-huit minutes accompagné d’un court métrage réalisé par leurs soins, à Cold Fame, l’agence de diffusion et de production de concerts lyonnaise qu’ils ont fondée par leurs propres moyens, en passant par leur baptême de feu à l’Olympia le 22 mars dernier et leur déclaration d’indépendance, Last Train revient sur son épopée. Rencontre.
D’où est venue cette idée de faire un single si long ?
Jean-Noël Scherrer (chant, guitare) – On ne le considère pas comme un single. Ça libère beaucoup de choses de se dire qu’on ne cherche pas à faire un tube suivi d’un fleuve de promo. Ce titre est une prise de parole précieuse et si ça reste un peu confidentiel, tant mieux, on est complètement pour.
Vous étiez déjà adeptes des chansons épiques sur The Big Picture, votre second album paru en 2019.
Jean-Noël Scherrer – Avec Last Train, on a toujours aimé les chansons hors format. Sur notre premier album, un titre comme Fire dépasse les cinq minutes. Mais on se restreignait en se disant qu’il fallait aussi des morceaux plus courts et percutants. Désormais, on accepte de prendre notre temps.
Julien Peultier (guitare) – C’est une chance de pouvoir prendre son temps. C’est aussi une chance de ne pas être contraint par une maison de disque qui t’oblige à faire des singles. On aime bien ces chansons longues avec des thèmes qui se répondent. Comme dans la musique de film.
Julien, tu as réalisé le court métrage qui accompagne ce nouveau morceau. Qu’apporte le cinéma à la musique de Last Train ?
Julien Peultier – On a toujours voulu exploiter le côté cinématographique. How Did You Get There? était l’occasion d’aller vers la fiction et de faire une œuvre à part entière qui se regarde avec la musique mais qui peut aussi s’en dissocier. Chaque spectateur·trice est libre de voir ce qu’iel veut. Au même titre que notre musique, on n’a pas envie de donner notre avis sur le monde. On cherche plutôt à soulever des questions et ouvrir une porte sur quelque chose.
Depuis vos débuts, vous faites tout par vos propres moyens. Vous avez même lancé le label Cold Fame dès 2014 pour sortir vos disques et organiser vos tournées.
Jean-Noël Scherrer – Exactement. Aujourd’hui, c’est une agence de production et de diffusion de concerts basée à Lyon. On programme nos tournées via Cold Fame et d’autres partenaires mais on travaille également pour d’autres artistes.
Pourquoi accordez-vous autant d’importance à l’indépendance ?
Jean-Noël Scherrer – L’indépendance est viscérale dans tout ce que l’on fait. On aime bien faire par nous-mêmes, contrôler et, surtout, on veut comprendre. Se dire que l’on comprend le monde dans lequel on évolue nous permet de prendre du recul et d’apporter de la nuance à notre projet. C’est le plus important.
Ça vous déplairait d’être signés chez une major ?
Jean-Noël Scherrer – On dit ça et, en même temps, on a déjà travaillé avec Barclay, la filiale d’Universal. C’était une super expérience car on a travaillé avec de belles personnes et on en garde un bon souvenir mais, simplement, c’est un modèle qui ne fonctionne pas avec Last Train. Ce n’est pas fait pour nous, ni en tant que personnes, ni en tant qu’artistes. Les majors, c’est pour d’autres histoires. Pas la nôtre.
Quand vous fondez Cold Fame, vous êtes un groupe de quatre mecs de 20 ans qui n’a pas encore sorti d’album. Comment avez-vous monté cette agence concrètement ?
Jean-Noël Scherrer – La vache ! (Rires.) Il n’y a pas de storytelling. C’était hyper naïf. Vraiment, je crois que c’est le mot qui décrit précisément notre état d’esprit. C’était l’envie de faire et comprendre. On s’est heurté à tous les obstacles possibles parce que ce sont de vrais métiers. Il faut avoir de l’expérience et un réseau. On n’avait rien de tout ça. Petit à petit, on a appris et on est très fiers de pouvoir se réunir autour d’un projet en disant qu’on a désormais les outils pour le réaliser.
Le fait que l’industrie musicale soit conditionnée par l’argent, est-ce un défi pour vous ?
Timothée Gérard (basse) – C’est pas mal ce mot, “défi”. On s’est toujours débrouillés sans quantité faramineuse d’argent pour payer les studios, les clips, les tournées.
Jean-Noël Scherrer – Il y a quelques jours, on était avec un mec qui a analysé le budget du court métrage de How Did You Get There? et il nous disait que c’était faible, que ça ne passerait pas. Mais on l’avait déjà réalisé, en fait. Avec cette somme-là. Quand t’as pas de thunes, faut avoir des idées.
L’indépendance relève-t-elle de votre volonté ?
Jean-Noël Scherrer – Au départ, je ne sais pas si c’était vraiment une volonté. On sortait de nulle part. Personne ne nous connaissait. Si on voulait faire une tournée, il fallait la monter tout seul. Plus tard, on a saisi des opportunités avec Barclay ou Alias (société de production de spectacles, ndlr.). L’indépendance s’est d’abord présentée à nous, puis c’est devenu un choix.
Les tournées vous ont donc permises de souder Last Train ?
Antoine Baschung (batterie) – Le live, c’est un truc qu’on a toujours dans un coin de la tête. On a pensé notre premier album en mode concert car on ne faisait que ça. Le studio était même anecdotique pour nous. Aujourd’hui, ça s’est inversé. On a pris conscience que le studio est un autre univers où l’on peut se permettre plein de nouveaux trucs. Mais, à chaque fois, on pense au live. Un morceau peut s’avérer être très beau en studio mais il faut qu’on puisse le jouer sur scène tous les quatre.
Timothée Gérard – On a construit How Did You Get There? dans notre local de répèt’ en 2020. Puis, on est allé en studio. Puis, on l’a travaillé avec un orchestre. Puis, on est revenu au local tous les quatre pour l’adapter à nouveau. On ouvre au maximum avant de revenir à la base.
Antoine Baschung – Lors des premières répèt’, on n’avait pas de piano dans le local. Alors Jean-No disait “Bon bah là c’est du piano” et on attendait comme des cons !
Julien Peultier – Les grands moyens, tu vois ! Faut compenser avec des idées.
Avec Cold Fame, vous organisez aussi les tournées d’artistes comme Lysistrata, MNNQNS, Johnnie Carwash ou Hubert Lenoir. Comment choisissez-vous ces groupes ?
Jean-Noël Scherrer – Je n’ai pas trop envie de mettre de mots sur notre ligne éditoriale car il y a toujours un contre-exemple qui vient l’annuler. Mais disons que ce sont des groupes dont les membres ont une trentaine d’années et qui transpirent beaucoup en live parce qu’ils jouent un peu leur vie sur scène. Ça c’est quelque chose de similaire à Last Train alors que l’esthétique musicale ne l’est pas du tout. On est dans une énergie majoritairement rock.
Est-ce un moyen de valoriser la scène rock actuelle ?
Jean-Noël Scherrer – Oui, ça a été un moteur. On voulait rassembler les artistes d’une même famille. Pourtant, aujourd’hui, nous ne sommes pas une famille. On est producteurs de tournée et c’est un métier. On ne part pas en vacances avec tous les groupes du catalogue. Certes, on a plus d’affinités avec certain·es d’entre eux·elles comme Bandit Bandit, car iels habitent en face de chez nous. Mais, avant tout, notre rôle est de produire les tournées de ces artistes et si l’on peut contribuer à la scène rock actuelle, c’est tant mieux.
Julien Peultier – Avec Cold Fame, on se rend compte qu’il y a une vraie scène rock. Récemment, on a produit une date d’IDLES à Lyon qui était archi complète. 1800 personnes sont venues voir du rock au Transbordeur.
Jean-Noël Scherrer – Se dire que 2500 personnes ont acheté un ticket pour venir voir Last Train à l’Olympia, c’est quand même un signe d’espoir ! Un groupe français qui vient d’Alsace, sans moyen et qui arrive à faire ça, cela signifie que les gens ont envie de voir du rock.
Timothée Gérard – Ce qui nous fait kiffer, c’est qu’on a un public très divers. Tu as autant de vieux rockeurs, des jeunes trentenaires, des quadragénaires et parfois même des gamin·es avec leurs parents. Certain·es nous suivent depuis huit ans en passant d’une catégorie à l’autre. C’est très fort de voir tous ces visages différents.
Jean-Noël Scherrer – On nous a mis en garde face à la crise sanitaire car les tickets peinaient à se vendre et, finalement, on a passé une pure tournée. Par exemple, on n’était jamais allé à Montauban et ça a été une excellente date. Les gens sont au rendez-vous pour écouter du rock. On est très chanceux.
En tenant les rênes de vos projets, gagnez-vous davantage de confiance en ce que vous faites ?
Jean-Noël Scherrer – C’est plutôt une question de responsabilité. D’autant plus qu’il y a énormément d’affect. Nous, c’est l’histoire de notre vie. On a monté un groupe quand on était tout petits et on vit de ça aujourd’hui. C’est quelque chose de très précieux et intense donc on se met naturellement une sorte de pression. On ne fait jamais ce que l’on n’a pas envie de faire. On décide toujours ensemble. Plus que jamais ces deux dernières années, on a passé du temps à discuter sur la suite. Ça nous fait devenir de meilleures personnes et de meilleurs copains.
Par conséquent, Last Train acquiert aussi une certaine liberté.
Jean-Noël Scherrer – Dans un sens, oui. Enfin, c’est surtout à cause de ce qu’il s’est passé avec notre ancienne maison de disques, Deaf Rock Records. Aujourd’hui, on prend notre indépendance en jouissant de la liberté qu’elle nous apporte. On ne rend de comptes à personne.
Lorsque l’affaire MeToo liée à Deaf Rock Records a éclaté en décembre 2020, vous étiez dans les premiers à quitter ce label. Comment avez-vous vécu cette période ?
Jean-Noël Scherrer – On ne veut surtout pas prendre la position que l’on n’a pas, à savoir celle des victimes. Nous sommes de simples dommages collatéraux de cette affaire. Certaines personnes ont souffert et continuent de souffrir sans doute aujourd’hui. De notre côté, on continue d’avancer sans ces personnes qui sont malveillantes alors qu’on pensait l’inverse.
Chez Cold Fame, on retrouve des artistes féminines ou des groupes mixtes comme Bandit Bandit. Cherchez-vous à faire du rock un genre moins masculin et plus égalitaire ?
Timothée Gérard – On est assez mal placé pour dire ça car on est un groupe de mecs. Mais grâce à des personnes engagées comme Maëva de Bandit Bandit, avec qui on est très potes, on apprend à ouvrir les yeux. On a bien pris conscience qu’être une femme dans le milieu musical, c’est plus compliqué. En tout cas, on en parle de plus en plus, en espérant que le secteur devienne égalitaire. D’ailleurs, on est très content que Lulu Van Trapp assure notre première partie à l’Olympia.
Tout le côté administratif lié à Cold Fame et à Last Train affecte-t-il vos moments de création ?
Jean-Noël Scherrer – Complètement. Regarde, quand tu arrives, on est tous sur nos ordis en train de bosser.
Antoine Baschung – On compose toutes nos chansons sur Excel !
Timothée Gérard – Je pense qu’on parle autant qu’on fait de la musique. Il y a autant de réunions que de moments où on est derrière nos instruments. Forcément, ça affecte.
Jean-Noël Scherrer – Ça affecte mais ce n’est pas forcément péjoratif. Avant, on passait nos vies à répéter et à tourner. Aujourd’hui, on se retrouve moins souvent pour faire de la musique. Mais j’aime bien me dire que quand on se retrouve tous les quatre pour faire du son, on kiffe vraiment.
À quoi doit-on s’attendre pour la suite de Last Train ?
Antoine Baschung – Faire un album ! Je pense qu’on a tous hâte de revenir à ce genre de choses.
Jean-Noël Scherrer – Et faire du rock en tournée. Mais avant, on a encore une idée à la con à exploiter. On collabore depuis longtemps avec l’orchestre de Mulhouse et on se demande si on pourrait pas pousser plus loin cette collaboration pour un autre projet. Ce sera un truc exclusif.
Propos recueillis par Juliette Poulain.