Beach Boys : derrière les ritournelles, la tyrannie d’un père

CE SOIR À LA TÉLÉ. Arte consacre un documentaire à Brian Wilson, l’aîné de la fratrie, auteur-compositeur surdoué qui a dû affronter la figure paternelle, homme et manageur autoritaire.

par Benoît Jourdain

Les Beach Boys vers 1964. De gauche à droite : Carl Wilson, Dennis Wilson, Mike Love, Al Jardine et Brian Wilson.
Les Beach Boys vers 1964. De gauche à droite : Carl Wilson, Dennis Wilson, Mike Love, Al Jardine et Brian Wilson. © Michael Ochs Archives/Getty Images

Temps de lecture : 5 min

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Un esprit créatif s'accompagne souvent d'angoisses et de tourments. De toute la fratrie Wilson, Brian était celui qui créait et qui souffrait. Derrière les mélodies des Beach Boys célébrant l'art de vivre californien, le surf, les filles et les belles voitures se cachait l'âme du groupe, aussi inquiète que féconde. C'est sur son histoire, étonnante et dramatique, que se penche Christophe Conte dans son documentaire diffusé ce vendredi 18 août, à 22 h 20, sur Arte.

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Le journaliste rock a réuni des témoignages de proches et d'admirateurs de Brian : les guitaristes David Marks et Al Jardine, l'organiste Don Randi, son ex-épouse Marilyn Wilson-Rutherford… Il a aussi utilisé des interviews récentes de l'aîné des frères Wilson, aujourd'hui âgé de 81 ans, seul survivant de la fratrie.

Le cadet, Dennis, batteur, est décédé en décembre 1983, à 39 ans, en se noyant dans la Marina Del Rey, à Los Angeles. Le plus jeune, Carl, guitariste et chanteur, est mort d'un cancer en février 1998, à 51 ans. Brian, lui, a repris le chemin de la scène à la fin des années 1990.

Culture surf naissante

Les Beach Boys, c'est d'abord une histoire de famille. Formé en 1961 à Hawthorne, près de Los Angeles, le groupe réunit les trois frères adolescents – Brian, Carl et Dennis Wilson – ainsi que leur cousin, Mike Love, et un ami de lycée, Al Jardine.

Leur premier album, Surfin'Safari, paru en juillet 1962, va passer trente-sept semaines au sommet des hit-parades américains, propulsant les cinq garçons vers la notoriété. Dès 1963, le groupe devient le plus populaire des États-Unis.

Avec leurs harmonies vocales, leur univers inspiré de la culture surf naissante et leur musique ensoleillée, les Beach Boys vont signer des dizaines de tubes. Leur succès repose surtout sur le talent de Brian, qui contrôle tout : il écrit, arrange et produit.

Mélancolique et solitaire

L'adolescent est influencé par les œuvres de Gershwin, notamment Rhapsody in Blue, les sonorités jazz des Four Freshmen, mais aussi par Phil Spector, créateur de la technique de production du wall of sound (« mur du son »), et le pianiste Burt Bacharach.

Brian est un don du ciel bleu californien : inspiré, brillant, il insuffle le style du groupe. Expérimentant sans cesse, il compose des chansons en un claquement de doigts, mélangeant le jazz, le rock de Chuck Berry et la musique classique, qu'il réunit dans une pop chaleureuse réinventée.

À LIRE AUSSI 1967 : la villa-studio où le Beach Boy Brian Wilson se confinaCréer apaise Brian car il doute sans cesse. Ses remises en question permanentes sont une inépuisable source de richesse pour le groupe. La rivalité avec les Beatles, l'adaptation aux bouleversements musicaux qui agitent la côte Est des États-Unis (Les Birds, les Doors, Frank Zappa)… Tout cela stimule Brian.

Mais les tourments ne sont jamais loin. Mélancolique et solitaire, il ne cherche pas à dissimuler sa vulnérabilité. En 1964, alors que le groupe connaît un énorme succès, Brian arrête soudainement les tournées et sombre dans la dépression.

« Je ne suis pas un génie »

Le LSD qu'il consomme ne l'aide guère. Peu à peu, il développe une paranoïa et commence à entendre des voix. Il tente de se concentrer sur l'écriture et la production des albums et vit reclus chez lui. Il parvient à travailler quelques heures mais regagne vite son lit, qu'il ne quitte quasiment plus, délaissant sa famille et fuyant les responsabilités.

La drogue accentue un état psychique fragile. Brian fait preuve d'une extrême sensibilité. Face au succès, il ne se sent pas à la hauteur. « Je ne suis pas un génie », clame-t-il, faisant preuve d'un manque de confiance en lui qui pourrait trouver ses racines dans la relation paternelle.

Murry, père autoritaire et omniprésent au moins lors des débuts du groupe, va prendre une part importante dans le succès des Beach Boys. « C'était comme un entraîneur, se souvient Brian, mais un entraîneur impitoyable. »

« Brute psychologique »

À la fin des années 1950, Brian, ses frères et les autres membres du groupe, alors âgés de 10 à 15 ans, grandissent ensemble à Hawthorne, banlieue de la classe moyenne blanche de Los Angeles. Ils prennent l'habitude de se réunir dans le garage des Wilson, qu'ils transforment en studio où ils passent des heures sous le regard intransigeant du père.

Passionné par la musique depuis son plus jeune âge, Murry est un auteur-compositeur qui n'a pas connu le succès. Il gagne sa vie en gérant une entreprise d'usinage. Mais il transmet son intérêt pour la chanson à ses trois fils et les encourage à apprendre à jouer des instruments et à chanter.

Murry cornaque les cinq jeunes et suit leur progression. « Brute psychologique et personnage sinistre », selon ceux qui l'ont côtoyé, Murry n'en est pas moins un négociateur coriace et il va faire des merveilles en tant que manager. Il démarche quantité de maisons de disques avant de décrocher le premier contrat des Beach Boys.

Amertume

Mais sa présence envahissante et la terreur – parfois physique – qu'il inspire poussent les membres du groupe à se séparer de lui après une tournée éprouvante en 1964. Brian sent bien qu'il doit affronter ce père qui les aide mais les traumatise.

« Brian avait du mal à lui tenir tête, se souvient Mike Love. C'est la seule fois où j'ai vu mon cousin le défier physiquement, et Murry, vaincu, a quitté le studio. » Carl, le frère aujourd'hui disparu, évoquait lui aussi cette scène : « J'ai dit à mon père : “Ils ne veulent plus que tu gères le groupe.” Il avait pourtant abandonné sa maison et son entreprise pour nous. Cela a dû l'anéantir et il a refusé de quitter son lit pendant des semaines. »

Sur une maquette réalisée en studio, on entend Murry lancer à Brian, d'une voix tonitruante et probablement lourde d'amertume : « Moi aussi je suis un génie, tu devrais m'écouter. » En refusant d'en être un toute sa vie, Brian a certainement voulu tenir son père à l'écart, quitte à ne jamais accepter son propre talent, qui le classe pourtant, aujourd'hui, au Panthéon des auteurs-compositeurs américains.

« Brian Wilson – Le génie empêché des Beach Boys », de Christophe Conte, France, 2023, 53 minutes, disponible jusqu'au 17 novembre 2023 sur arte.fr

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Commentaires (4)

  • Passy21

    Brian Wilson avait du génie qui fut trop mis dans l'ombre par un couple qui lui aussi avait du génie Lennon/Mc Artney. "Good Vibrations" reste l'un des plus grands monuments de la Pop.

  • guy bernard

    Les beach-boys sont une composante d'une culture plus generale qui est la culture surf des plages californiennes ; au mariage d'une nièce qui a épousé un californien, j'ai pu rencontrer les surfers qui avaient près de 70 ans et qui étaient restés unis dans cette même culture.
    C'est une excellente émission d'Arte et je signale celle d'hier soir "les mamas et les papas" où le misfit est total : je les croyais californiens, ils venaient tous de regions froides d'Amérique et avaient besoin du soleil et de la permissivité californienne.
    Leur tube est d'ailleurs "california dreaming", écrit à la demande de Michelle Phillips qui gelait à New-York ; à ce propos, cette magnifique jeune fille a bien vieilli, comme le prouvent les photos du daily-mail prises à son insu, dans la rue.

  • winstoned

    Une histoire qui ressemble à celle des Jacksons, un père qui les pousse à devenir des stars, qui les fait travailler dur et d'après les dires les coups pourraient bien faire parti du management. Brian a écrit des merveilles (Pet sounds pour n'en citer qu'un), a été une sorte de Beethoven du 20 ème, son art restera à jamais gravé dans les consciences.