Algérie : « Idir avait l'élan de ses ancêtres pour nous projeter très loin »

HOMMAGE. Le choc est immense. Autant en Algérie qu'à l'étranger, une avalanche de réactions a suivi l'annonce de la disparition d'Idir, légende de la chanson algérienne.

Par , à Alger

Temps de lecture : 5 min

« J'ai perdu un père » : le message posté par Hanane résume bien le climat émotionnel de cette matinée. Les messages sur les réseaux sociaux se multiplient, non seulement pour exprimer la tristesse face à la perte, mais aussi pour évoquer comment l'artiste a marqué les esprits, les vies et l'histoire personnelle et nationale. « L'Algérie perd en Idir une icône nationale, un monument, le parangon de notre identité unifiée apaisée », poste Imene, d'Alger. « Chacun de nous a une histoire personnelle avec Idir, une douleur qui monte des entrailles, et beaucoup de joie aussi. Dans la multitude de chansons que j'aurais pu choisir pour lui rendre hommage, il y en a de beaucoup plus joyeuses [Ourar]. Celle-là me fait toujours penser à mon père », se souvient Yasmine de Besançon.

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La disparition du grand artiste convoque la mémoire, tant ses chansons ont habité l'intimité de l'Algérien. « Quand mon fils était encore un bébé, je lui chantais Assendu, c'était la seule chanson que je savais par cœur et que je lui transmettais comme des bribes de mon histoire, une musique de la langue kabyle, pour l'endormir et le nourrir. Un jour, il m'a dit : Maman arrête de me chanter cette chanson de la mort, et j'ai compris qu'il avait grandi et j'ai ri  », se rappelle la journaliste Ghania Mouffouk.

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« Comme si un de nos darons s'en allait… »

Le journaliste Nadir Dendoune évoque lui aussi un souvenir précis : « C'était à un concert d'Idir à Paris en janvier 2018. Grâce à Mouss et Hakim, les deux frangins du groupe Zebda, ma mère avait pu rencontrer son idole. Elle était tout émue. Juste avant de le voir, ma daronne avait dit à Hakim : Heureusement que mon mari n'est pas là, avant de demander inquiète : Et sa femme, elle n'est pas jalouse ? Pour moi, Idir c'est d'abord une image. J'ai cinq ans et ma mère écoute sur son tourne-disque en boucle A Vava Inouva. Et je me souviens encore de ses larmes… Je ressens la même tristesse qu'à la mort de Matoub Lounès en 1998… C'est un peu comme si un de nos darons s'en allait. »

Convoquer les souvenirs et parler de cette culture qu'Idir a mondialisée : « J'ai toujours écouté Idir, sans franchement tout comprendre de ce qu'il chante. Mais il se passe quelque chose en moi quand même à chaque fois. Il fait partie de nous, ses chansons ont traversé le temps et les générations », écrit Rym, qui explique qu'elle a appris « un peu » la langue kabyle grâce à une amie qui lui traduisait les textes des chansons…

Tanina, elle, s'adresse directement à Idir et se rappelle de « cette image-là de ma tendre maman assise à côté de sa table de chevet sur laquelle sont posées un tas de cassettes [les tiennes, celles de Lounis Aït Menguellat, Nouara, Cheikh El Hasnaoui, Cheikh Norredine…] et un gigantesque magnétophone qu'elle tentait de faire marcher afin de me faire écouter de la bonne musique : constructive, disait-elle ! ». L'image du chanteur lui fait penser aussi « à ces merveilleuses nuits d'été, le regard noyé dans l'immense ciel étoilé, enlacée dans les bras de mon papa chéri qui me chantait une par une tes chansons jusqu'à ce que Morphée vienne me récupérer ».

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« Il a révolutionné la musique kabyle »

Le critique littéraire Walid Bouchakour, lui, évoque la chanson « Ay Al Xir Inu » : « Je me souviens avoir entendu cette chanson lors de mon tout premier cours de guitare, il y a longtemps de cela. Makhlouf, mon prof, un Kabyle de Bab El Oued, aimait cette chanson par-dessus tout. À l'époque, j'étais plutôt porté sur le rock, mais en entendant ces harmonies envoûtantes et ces paroles mystérieuses, j'ai aussitôt apprécié Idir qui reste un exemple en termes d'arrangement de musiques traditionnelles. Musicalement, il a révolutionné la musique kabyle en la projetant sur l'orbite des musiques du monde sans rien perdre de son originalité. C'est un des artistes les plus créatifs du monde amazigh qui nous quitte. »

« Avant son concert historique à Alger, Idir m'a accordé une interview où il avait parlé avec beaucoup de franchise et de sincérité », écrit le journaliste Fayçal Métaoui, qui a rencontré l'artiste à Alger en janvier 2018. « J'ai assisté à ses répétitions au siège de la Radio nationale, jusque tard dans la nuit. J'ai attendu plus de trois heures en écoutant Idir, avec son calme légendaire, préparer le programme intense de son concert, organisé sous le signe des retrouvailles, quarante après. Il a interrompu son dîner pour répondre aux questions en s'excusant », poursuit le journaliste, pour qui « Idir est un nom à inscrire en lettres d'or dans l'histoire culturelle de l'Algérie ».

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Idir, une des pyramides d'Algérie

L'architecte algérois Mohamed Larbi Merhoum se rappelle, lui, de sa découverte d'Idir dans l'Alger de sa jeunesse : « Avec sa tignasse, ses binocles et son jean patte d'éléphant, il semblait flotter sur l'écran. On découvrait A Vava Inouva et Assendu.

Des mélodies douces qui semblaient raconter, dans la langue maternelle des voisins, de jolies choses. Il s'en dégageait une absolue affection venue de très loin. La modernité des sons et des arrangements, les cymbales et les basses nous transportaient au-delà des limites du monde que l'on pouvait écrire avec nos mots de gamins. Sa modernité semblait naturelle. Rien à voir avec les autres troubadours, les Elvis et les Mike de l'unique chaîne de télévision qui peinaient à nous transporter plus loin que l'épicerie d'en face… »

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Sur sa page Facebook, l'architecte poursuit : « Je compris bien plus tard que venant de très loin, Idir avait l'élan de ses ancêtres pour nous projeter très loin… Que ses accords venus des tréfonds de notre mémoire nous raccordaient à l'universel. À l'Amour. » Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a présenté ses condoléances aux proches et aux fans de l'artiste : « L'Algérie perd une de ses pyramides. »

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Commentaires (3)

  • Surlaligne

    Il s'était fait connaître avec cette superbe chanson "A Vava Inouva" à la mélodie envoûtante et au caractère devenu universel.
    C'était par ailleurs une personnage tolérant et éclairé qui aimait son pays d'origine mais était lucide sur ceux qui le dirigeaient et sur les années noires où les islamistes ont essayé de contrôler l'Algérie.
    Il n'y était revenu pour chanter qu'en 2018 et espérait que le pays se libéraliserait et se séculariserait, l'un n'allant pas sans l'autre.
    Espérons que son voeux sera exaucé.

  • y

    Pourquoi n'est-t-il pas resté sur sa terre natale ?
    Magnifique artiste.
    Sa musique traîne toujours chez nous depuis longtemps...
    Nous avons beaucoup d'amis venus de Kabylie.
    Si riches, si doux...

  • La Bogue

    « Et puis, je suis algérien à part entière, je n'ai pas d'autre nationalité.  »

    « La société algérienne semble si verrouillée de l'intérieur.  »

    Que se passe-t-il ? Les Kabyles sont-ils interdits de séjour en Algérie ? Les autorités algériennes interdisent-elles aux expatriés algériens de retourner vivre en Algérie ? Les organisations internationales chargées de défendre les droits de l’homme devraient sans doute se pencher sur la question, car si tel est le cas, c’est délictuel.